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« Nous avons deux réalités : la matière et le champ. Il est hors de doute que nous ne pouvons pas à présent concevoir que toute la physique puisse être bâtie sur le concept de matière, comme le croyaient les physiciens du début du XIXème siècle. Pour le moment nous acceptons les deux concepts. Pouvons-nous considérer la matière et le champ comme deux réalités différentes et distinctes ? Une petite particule de matière étant donnée, nous pourrions nous figurer naïvement qu’il existe ne surface définie de la particule au-delà de laquelle elle cesse d’exister et où apparaît son champ de gravitation. Dans cette image, la région où les lois du champ sont valables est brusquement séparée de celle où se trouve la matière. Mais quels sont les critères physiques qui permettent de distinguer entre la matière et le champ ? Avant d’avoir connu la théorie de la relativité, nous aurions pu tenter de répondre à cette question de la manière suivante : la matière a une masse, tandis que le champ n’en a pas. {…} Mais nous savons déjà qu’une telle réponse est insuffisante {…}. La théorie de la relativité nous a appris que la matière représente d’immenses réservoirs d’énergie et que l’énergie représente de la matière. Nous ne pouvons ainsi distinguer qualitativement entre la matière et le champ, puisque la distinction entre la masse et l’énergie n’est pas d’ordre qualitatif. La plus grande partie de l’énergie est concentrée en matière, mais le champ qui entoure la particule représente également de l’énergie, bien qu’en quantité incomparablement plus petite. Nous pourrions par conséquent dire : la matière se trouve là où la concentration de l’énergie est petite. Mais s’il en est ainsi, la différence entre la matière et le champ est plutôt d’ordre quantitatif que d’ordre qualitatif. Il n’y a pas de sens à regarder la matière et le champ comme deux qualités totalement différentes l’une de l’autre. Nous ne pouvons imaginer une surface définie qui sépare nettement le champ et la matière. »
Albert Einstein et Léopold Infeld, L’évolution des idées en physique (1936)